Aujourd'hui, voici une Chronilettre artistique. Le peintre Édouard Manet écrit à son ami et artiste Gustave Courbet. C'est que nos deux hommes de l'art en ont des déboires alors qu'ils présentent respectivement Olympia et le portrait de Proudhon.
La lettre historique fictive et basée sur des faits réels est à télécharger en fin de page. Dans le fichier, vous pourrez également voir les toiles dont il est question. Bonne lecture et n'hésitez pas à laisser un petit "j'aime" et à partager !
Mai 1865,
Paris.
Mon estimé collègue,
Pardonnez cette appellation peu distinguée mais je ne peux résister à l’envie de souligner notre complicité dans les scandales qui emplissent le Salon de sculptures et de peintures qui se déroule actuellement dans notre capitale. Et ce n’est pas la presse qui me contredira !
Les colonnes de tous les journaux citent nos œuvres avec le vocable le plus ignoble. Cela me tire les lèvres en coin. Oh ! Ma réaction peut vous sembler inappropriée mais je n’ai cure de ces critiques qui se gaussent et justifient l’admission de nos toiles « à titre d’exemples » comme s’il fallait exposer l’horrible pour instruire les visiteurs.
Souvenez-vous, il y a tout juste deux ans je subissais le même sort avec mon Déjeuner sur l’herbe. Que n’a-t-on pas dit sur cette toile immense ? Alors, je suis désormais habitué à cette mise en pâture qui a, au moins, le mérite de faire parler de nous.
Mon Olympia subit les assauts les plus cruels. Pour les uns, je ne saurais pas peindre. Pour les autres, je mène le réalisme vers ces dernières heures avec ce modèle effronté qui ose poser nu en regardant ses admirateurs dans les yeux.
Je vous accorde volontiers que je n’avais pas anticipé une telle virulence dans les propos. Certes. Mais les gens n’en ont-ils pas assez de toutes ces demoiselles aux visages rosissant qui peuplent des tableaux aussi niais qu’irréels ? On me reproche mes teintes froides alors qu’elles seules peuvent véritablement renvoyer la lumière et apporter toute la précision nécessaire aux détails.
Enfin, je courbe le dos lorsque je lis les pires journalistes comparer ma peinture à une visite de la Morgue. Comme si ma femme allongée était décédée et exposée à la vue de tous ! C’est peut-être ces visites ouvertes aux familles qu’il serait bon de remettre en question. Pourquoi trouver banal d’arpenter les vitrines de la morgue pour y observer les cadavres non-identifiés dressés face aux gens, et s’offusquer d’une dame bien vivante, dessinée sur une toile ? Mais ne cherchons pas de sens là où il n’y en a sûrement pas…
Même si nos travaux terminent l’exposition du Palais de l’Industrie accrochés au-dessus des portes, et loin des regards, ne nous abaissons pas à rentrer dans le rang, voulez-vous mon cher Courbet ? Je sais que je prêche un convaincu. Jamais vous n’avez caché votre langue dans votre mouchoir. Il y a dix ans, l’Exposition vous refusait le fameux Enterrement à Ornans. Encore trop de réalisme !
Et qu’avez-vous fait ? Avez-vous renoncé ? Avez-vous présenté une œuvre plus convenable aux attentes de l’institution ? Non ! En quelques semaines, vous obteniez les accords et le financement pour bâtir votre propre pavillon d’exposition à deux pas du Salon ! À ce souvenir, au catalogue que vous aviez produit pour vos quarante œuvres installées, c’est moi qui me gausse !
Cette année, votre portrait du théoricien révolutionnaire Proudhon rend un bel hommage à votre ami disparu. Souhaitez-vous que mes fidèles défenseurs disent quelques mots à votre sujet ? Vous savez que Charles Baudelaire et Émile Zola sont d’un soutien indéfectible. Alors, si l’envie vous vient, n’hésitez pas…
À bientôt courageux Gustave,
Édouard Manet.
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