Le syndrome de la page blanche est une expérience bien connue, que l’on soit auteur ou créateur en rapport avec les mots, les dessins ou la feuille vierge. Et quand je dis « bien connue », je devrais dire « redoutée », « exécrée ». Ce blocage est frustrant et fort commun. Je ne compte plus le nombre de fois où enfants et adultes ont prononcé ces termes devant moi lors de rencontres ou d’ateliers d’écriture.
Ce syndrome créatif, dans la mesure où il anéantit la mise au travail, est terrifiant, mais, bonne nouvelle, il est surmontable ! Que l’on soit directement concerné ou que l’on souhaite accompagner des jeunes vers la création, essayons d’élaborer quelques stratégies pour vaincre le syndrome de la page blanche. Équipez-vous de votre meilleure feuille de couleurs, bleue, verte ou rose, et en route !
Le syndrome de la page blanche : définition
Nous avons déjà abordé d’autres syndromes en rapport avec la créativité. Après Stendhal et Bambi, il m’a semblé incontournable d’aborder le blocage de la page vierge. En effet, ce syndrome est très puissant puisqu’il n’empêche pas l’envie.
Au contraire, c’est au moment où l’on a envie d’écrire, que l’on s’installe devant son papier ou son ordinateur, que tout se bloque. Et cela sans distinction d’expérience ou de parcours. Les écrivains sont autant touchés que les débutants. Le crayon reste en l’air, les doits suspendus. Plusieurs explications sont associées à ce blocage du créateur : le stress, la peur de l’échec, le perfectionnisme…
Syndrome de la page blanche : psychologie
Le blocage de l’écriture, ou du dessin, du premier signe sur le support, n’est pas une malédiction ou une fatalité qui viendrait renforcer les mythes de la créativité. Il n’y a pas ceux qui sont faits pour créer d’un côté et qui ne connaissent jamais de peur, d’hésitation ou de syndrome et les autres qui se figent devant leur écran.
Identifier les causes psychologiques les plus courantes permet de se questionner. Il est probable qu’une ou plusieurs de ces raisons freinent votre créativité ou celle de vos élèves. Le reconnaître est un pas important pour, ensuite, apporter des solutions.
Voici donc les causes les plus fréquentes au syndrome de la page blanche :
Peur de l’échec : la crainte de ne pas atteindre ses propres attentes peut paralyser. Clairement, je pense que c’est la raison la plus évidente et la plus répandue, avec la suivante. Quand on commence à créer, parce que l’on débute, que l’on essaie quelque chose de nouveau ou simplement parce que c’est un projet inédit, on a tendance à trop s’en demander.
Si on a une image précise de ce que l’on veut faire en tête, la crainte est forte que le résultat concret ne soit pas identique. Et, spoiler, il ne le sera sûrement pas ! Cela ne veut pas dire que ce sera nul, que vous n’avez aucun talent. Cela signifie que la concrétisation nécessitera plusieurs essais, erreurs.
Ces tentatives font partie du processus. Oui, elles prennent du temps. Mais ce temps est aussi bénéfique. Et c’est une pressée du bulbe qui vous le dit ! J’ai mis des années à accepter que le temps qui passe est toujours bénéfique à un projet.
Au fur et à mesure du travail, d’autres idées apparaissent, des précisions que l’on n’aurait jamais envisagé éclosent. Il faut donc se raisonner. Dès le départ, devant votre espace de création immaculé, mettez-vous d’accord avec vous-même : « j’ai envie de faire telle chose, ce ne sera pas comme je voudrais, mais si je ne fais rien, ce ne sera jamais rien tout court. »
Perfectionnisme : ah, cette deuxième plaie de la création ! C’est une extension de la raison précédente puisque, souvent, ce que l’on ressent comme un échec est le simple fait que notre écrit, notre tableau, ne soit pas parfait du premier coup. C’est fou quand même ça ! On veut alors tout contrôler, le premier millimètre de trait, le premier mot et, résultat, rien ! Blocage complet ! Encore une fois, une petite discussion avec vous-même s’impose.
Manque de clarté : moins flagrant que les blocages précédents, le manque de clarté joue son rôle de Stupéfix ! devant la page blanche. En fait, si l’on n’a aucune idée de ce que l’on veut faire ou si on veut à la fois faire une toile avec de la peinture verte et des paillettes sur de la peinture bleue quoique laisser des espaces gris, ce serait bien aussi, il y a un souci.
Et le souci n’est pas que la créativité est bloquée. Le problème vient de la vision floue. Le cerveau ne sait pas par quel bout commencer et donc, vous ne débutez pas. Là repose tout l’intérêt des brouillons, des schémas non engageants, des réflexions sur le papier ou l’écran.
La question n’est plus « pourquoi je ne parviens pas à créer ? », mais « qu’est-ce que je crée en premier ? ». Le fond de mon portrait ? Les personnages de mon histoire ? Un rebondissement que je ne veux pas oublier ou qui m’enthousiasme particulièrement ?
De là, étape après étape, le projet se clarifie. Alors, oui, vous rêviez peut-être d’être un de ces grands créateurs inspirés qui dès la première touche de piano enfoncée compose un morceau inoubliable. Mais avec un minimum de plan, une organisation des portées, il se pourrait bien que vous obteniez le canevas d’un morceau, un vrai, qui existe, lui.
Fatigue mentale : enfin, il ne faut pas négliger l’impact de la surcharge mentale. À vouloir trop bien faire, à regarder quarante-douze vidéos d’illustrations, à lire cinquante-vingt-huit livres sur l’écriture, plus rien ne vient. Trop d’informations tue la spontanéité, l’envie première.
On aura plus tendance à vouloir « faire comme » qu’à oser se lancer. Encore une fois, avec un modèle très précis en tête, le risque est grand de ne pas réussir un copié-collé. C’est d’ailleurs une bonne chose : seriez-vous vraiment satisfaite d’une œuvre qui n’est pas la vôtre ? Donc s’inspirer, oui. Risquer l’explosion neuronale, non.
Bien sûr, ces blocages peuvent varier d’une personne à l’autre. Il existe d’autres raisons plus personnelles également, en rapport avec le vécu, la confiance en soi, les limites inconscientes. S’il ne fallait retenir qu’une chose, ce serait peut-être de passer à l’action dès que possible.
Pas sur le plus beau papier du monde. Pas une fois que l’on est certaine d’écrire comme Colette. Tout peut commencer par un simple trait. Vous savez, un trait en vague, fait exprès, en plein milieu de la feuille. Au moins, maintenant, elle n’est plus blanche.
Et si vous y placiez un mot, n’importe lequel et que vous commenciez par celui-ci ? Vous pouvez même ouvrir un livre au hasard et le piocher à l’intérieur. Une fois que vous aurez commencé, ce mot, incongru, vous mènera quand même vers l’histoire que vous avez envie d’écrire. Vous verrez. Allez, essayez !
Techniques pour surmonter le syndrome de la page blanche
Petits conseils éprouvés pour franchir le cap afin de prendre plaisir à écrire et à créer :
Écrire sans se censurer
Vous le savez peut-être déjà, notamment si vous avez lu Libérez votre créativité de Julia Cameron, mais votre plus grand frein, c’est vous. Et le censeur qui réside dans votre tête. Ce mauvais petit génie qui se croit autoriser à vous rabaisser et à critiquer méchamment la moindre ligne que vous avez envie d’écrire ou la première couleur que vous voulez choisir.
Acceptez-le dès le départ, ce juge casse-pied est là. Il fait partie de nous. Bon. Et alors ? Il adore la perfection qui nous paralyse. Ça tombe bien, on a déjà dit que cette perfection ne servait à rien. Laissons couler. Au crayon, en travers de la feuille, ou avec une police en couleurs sur l’ordinateur après quelques sauts de lignes, jetez une idée. « J’ai envie de… » et complétez.
Vous pouvez aussi écrire et répéter « je ne sais pas quoi écrire » autant de fois que nécessaire. Mais est-ce vrai ? Vous ne savez pas quoi écrire ou vous croyez qu’une page blanche est plus forte que vous ?
Changer de cadre ou de point de vue
Écrire un texte parfait du premier coup, c’est du sérieux. « Attention, aujourd’hui, je m’y mets, ça va tout changer ! » Vous avez même pris le temps de débarrasser le bureau et d’organiser votre agenda. Cela vous a permis de procrastiner, oui. Mais, aujourd’hui, « cette fois, c’est la bonne ! »
Voilà des moyens idéaux pour se mettre la pression. Oui, un bureau confortable a de l’importance quand on y passe plusieurs heures par jour, que l’on souhaite retrouver ses classements. Oui, un temps réservé à son projet est essentiel. Mais faut-il vraiment commencer par ce chantier-là ? Risquer de ne pas se sentir à la hauteur de l’organisation ?
Je ne pense pas. De merveilleuses histoires sont nées sur le coin d’une table de café bruyant. Changer de lieu est parfois le déclencheur qui soulage d’ailleurs. Tout comme modifier les attentes ou les habitudes. Par exemple, écrivez à la main si vous utilisez habituellement l’ordinateur, ou inversement. Ce changement physique peut déclencher une nouvelle dynamique.
S’appuyer sur des exercices créatifs
S’appuyer sur des exercices d’écriture guidée ou inspirée par une image, un mot ou une musique peut aider à démarrer. Des défis courts, comme inventer le passé d’un objet qui se trouve sous vos yeux, permettent de réchauffer l’esprit sans la pression de produire un texte parfait. Lire un extrait de livre inspirant, observer une œuvre d’art constituent autant de déclencheurs sensoriels qui ouvrent l’esprit et laissent filer la plume.
Aider les élèves à écrire sans peur de la page blanche
Pour les enseignants, encourager les jeunes à s’exprimer à travers l’écriture peut parfois être difficile. Essayons de faciliter le passage à l’écrit en :
instaurant une atmosphère détendue : l’écriture créative doit se différencier de la production normée et notée. Même si elle peut ensuite y mener. Proposer une écriture libre, sans contrainte de notes, encourage les élèves à exprimer leurs idées.
favorisant les jeux d’écriture : les élèves inventent la fin d’une histoire ou rédigent une histoire à plusieurs en se passant le texte entre eux.
accompagnant sans corriger : lorsque les élèves partagent leur texte, souligner les points forts sans insister sur les fautes. Cela développe leur confiance. Le re-travail, comme dans la réalité des écrivains, se fait ensuite.
Le syndrome de la page blanche est intimidant. Il ne faut, je pense, ni le nier, ni le minimiser. Juste en prendre conscience pour s’interroger sur ses causes. En diversifiant les techniques et en s’autorisant à écrire sans jugement, il est possible de retrouver le plaisir d’écrire et de créer. La créativité grandit en liberté. Elle est un animal sauvage qui ne demande qu’à être accueilli, rassuré et câliné.
Elle a aussi, comme vous, besoin de bienveillance. La pression du résultat peut être écrasante. Pourtant, un manuscrit imparfait, mais qui existe, est un écrit que l’on peut retravailler, peaufiner, retoucher, reprendre, redécouper. Ce que l’on ne fera jamais avec l’histoire qui reste coincée dans une tête.
Franchement, les premiers mots, les premières phrases risquent d’être plates, maladroites. Au pire, elles seront carrément moches. Et alors ? Vous n’êtes pas obligée de les montrer. Vous ne serez même pas obligée de les garder dans votre texte. En revanche, il serait bien de l’écrire, cette première phrase moche. Allez-y : « J’écris une première phrase moche… ». Ne vous arrêtez pas !
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